L'incipit titubant à deux mains

Cléonie s'emporta, que lui fallait-il de plus pour qu'enfin il accepte de les aider? Brice restait un homme mystérieux, souvent cloîtré chez lui, parfois pendant des jours sans jamais donner signe de vie à qui que ce soit. Cléonie ne l'appréciait guère, sûrement par jalousie pour cet homme qui cultivait son détachement singulier envers son entourage avec beaucoup de brio.
De mille façons elle avait tenté déjà de s'immiscer dans sa bulle privée, en vain. Rien n'y faisait. Lorsqu'elle apprit que celui-ci refusait une nouvelle fois d'aider les filles, elle sortît d'elle-même, emportée par la rage qui anime l'aliéné libre.
C'est un mardi de février qu'elle enfonça sa porte, sans même lui avoir téléphoné auparavant, les phares allumés, les yeux injectés de sang, la mâchoire bouillonnante, les oreilles écumantes. Quand ses yeux virent tel tableau, Brice mourut.
Par la force du destin, Cléonie et les filles héritèrent des secrets du défunt qu'elles appelaient déjà le fantôme de son vivant. Un manoir du Moyen-Age dans l'Alsace profonde, un ranch et des hectares de terres abandonnées dans un coin du Texas, des milliers de lettres à des adresses énigmatiques, des centaines de bibelots et objets de contrebandes provenant d'Asie, où on lui avait récemment découvert une branche de son arbre généalogique (en étroite relation avec des mafias locales paraissait-il) et enfin, un amant défenestré une semaine plus tard ponctua la liste des affaires saugrenues de cet héritage étrange. Brice semblait être mieux connu du monde entier que des gens de son propre village. Sans plus attendre elles décidèrent de se lancer à la poursuite du passé de Brice, qui était-il vraiment? Le sauraient-elles un jour? Elles s'enfermèrent dans le manoir et là vivant en totale autarcie, les volets fermés, se nourrissaient de baies et de découvertes. Le jour, elles dénichaient des indices supplémentaires sur la double identité de Brice. La nuit, elles s'adonnaient à de sauvages bacchanales et erraient nues dans la cuisine déserte. C'était là toute leur vie, et elle dura jusques à la découverte d'Euryclée. Un soir sous les coups de minuit, alors que tout le monde dormait au manoir, cette dernière ne pouvant résister une seconde de plus aux gémissements de ses viscères, s'en alla dehors rendre tripes et boyaux derrière une cabane au fond du jardin, toute entourée de cailloux. Euryclée n'avait jamais remarqué cette cabane auparavant, elle y entra, parvint à trouver une lampe, puis en fouillant, récupéra une enveloppe sur laquelle était griffonné son prénom, elle reconnut l'écriture de Brice. Stupéfaite, elle hésita quelques instants avant de se décider à ouvrir l'enveloppe, ce qui fut le geste le plus malheureux de sa vie...

1 commentaire:

  1. J'imagine qu'il n'y a pas de suite... quel dommage. Magnifique écriture, fluide, rythmée, attachante...

    RépondreSupprimer